Quand on pense aux corrections, on songe immédiatement aux faites (pardon, aux fautes) de frappe ou d'orthographe. Si cela fait évidemment partie du travail de correction d'un manuscrit, ça n'en est qu'une infime partie. Tour d'horizon des principaux écueils qui guettent tout auteur validant son manuscrit pour un éditeur...
Extrait Alors j'ai songé que, peut-être, nous n'étions que les marionnettes d'un créateur qui imaginerait l'histoire de nos vie en y insufflant, parfois, une touche d'ironie. (chapitre 9)
Les 8 salopards*
1. La transcription d'un texte de 80 pages écrit au kilomètre sous traitement de texte en un livre de 130 pages au format 15,5 x 24 cm n'est pas un long fleuve tranquille. Entre les renvois de page (c'est un livre qui use d'intertextualité) et les changements, parfois d'un mot, qui rajoutent une page et bousculent toute l'architecture de la fin de l'ouvrage, une vigilance accrue s'impose.
2. Les limites techniques. On rêve d'un livre mais sa concrétisation se heurte souvent au dur mur de la réalité. Il y a tout d'abord l'idée imaginée qu'il faut transformer en une phrase sur le papier, avec toutes les limites linguistiques que cela impose ; il y a ensuite les limites liées à l'imprimerie : il n'y aura donc ni encadré, ni liseré gris pour illustrer le faire-part présent dans le texte (et encore moins ma tentative de calligramme !) mais des solutions pour davantage de lisibilité, au cas par cas, qu'il a fallu trouver.
3. L'uniformisation. L'uniformisation n'est pas une bonne chose en général dans le sens où c'est dans la diversité et l'apport d'autres sources que naît la richesse culturelle. Mais en matière de correction, l'uniformisation est non seulement souhaitable mais encore indispensable. Ainsi, convient-il de veiller à l'uniformité des règles typographiques sur l'ensemble du texte et à leur cohérence (guillemets français en chevrons doubles ou tirets cadratins ?).
4. La chronologie. Au cinéma, le métier de scripte consiste, lors du tournage d'un film, à s'assurer que tout ce que l'on voit à l'écran est cohérent par rapport au déroulement de l'histoire. Ainsi, si un personnage fume une cigarette, cette cigarette devra être consumée à la même hauteur quel que soit le nombre de prises qui seront faites. Eh ! Bien, quand on corrige un roman, ce même travail de scripte est à effectuer en ce qui concerne les lieux où évoluent les protagonistes, mais aussi les dates, heures ou encore les noms des personnages**.
5. Cachez ces coquilles que je ne saurais voir. Éradiquer les répétitions (celles qui sont inutiles en tout cas) et les coquilles est une opération délicate dans le sens où le cerveau ne lit pas lettre à lettre un mot qu'il connaît déjà mais l'envisage d'un point de vue sémantique, ce qui rend d'autant plus difficile de voir une faute). Il s'agit donc d'une lutte de chaque instant, ingrate, austère et, diront certains, perdue d'avance, mais qui se doit d'être menée.
6. Qui a dit que la langue n'était qu'une succession de règles à appliquer ? Cela est sans doute vrai si l'on réalise un dictionnaire mais un roman (qui n'est autre qu'un dictionnaire dans le désordre) fait, parfois, place à une certaine subjectivité. C'est là où l'échange avec sa correctrice (merci Cécile !) est le plus stimulant car cette confrontation d'idées doit permettre de régler d'épineuses questions linguistiques, notamment celle-ci : "Comment ça vous est venu..." ou "Comment ça vous est venue, cette idée..." ?
7. Qui dit confrontation dit victoires mais aussi défaites. Ainsi en est-il des renoncements personnels que l'on peut être amenés à faire quand on valide son texte ; des changements qui, me concernant, sont de l'ordre de l'intime (des références trop obscures qui n'auraient été comprises que de moi) au profit d'un texte s'adressant au plus grand nombre. Un cheminement finalement logique si l'on considère que l'auteur n'écrit que pour lui et publie pour les autres.
8. Les derniers changements. Enfin, le huitième (la liste n'est pas exhaustive) danger qui menace l'écrivain qui corrige son livre concerne les ultimes modifications, celles que l'on fait encore après maintes relectures et durant laquelle l'on se dit : après celle-ci, il ne sera plus possible de changer quoi que ce soit... Cela crée un sentiment étrange, mélange de peur et d'excitation, car si le livre ne s'est jamais trouvé aussi près de sa publication, parfois le changement d'un mot peut embellir considérablement l'ensemble. C'est cette peur-là, parmi tant d'autres écueils possibles, qu'il convient de conjurer si l'on veut parvenir à finaliser son ouvrage... sans y laisser sa santé mentale !
* L’intertitre est évidemment un hommage au titre français du film de Quentin Tarantino (The Hateful Eight en anglais) sorti en 2015, qui était une référence explicite aux Sept mercenaires de John Sturges (1960), lui-même s’avérant une relecture du mythique Sept samouraïs d’Akira Kurosawa (1954).
** Tout le monde ne peut pas se permettre, comme Céline, de changer le nom de ses personnages en cours de texte. Dans Guerre, l’acolyte du héros passe de Bébert à Cascade sans que cela ne fasse sourciller l’auteur.
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